L’ASE face à ses responsabilités

“Placés”, oubliés, entendus…

Qu’est‑ce que l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ?

Depuis les lois de décentralisation de 1983, l’ASE est un service départemental placé sous l’autorité des conseils départementaux, dont la mission première est de protéger les mineurs en danger et d’accompagner les familles.

Définie à l’article L.221‑1 du Code de l’action sociale et des familles, elle couvre à la fois la prévention (visites à domicile, soutien parental), la protection (placement en famille d’accueil ou établissements spécialisés) et le suivi éducatif jusqu’à 18/21 ans pour les jeunes vulnérables. Son organisation repose sur des travailleurs sociaux, psychologues, assistants familiaux et structures médico‑sociales, avec un agrément et un contrôle assurés par les départements pour garantir la sécurité et la qualité de la prise en charge.

Pourquoi on en parle aujourd’hui ?

Création de la commission de réparation

Le 8 avril 2025, la commission d’enquête parlementaire présidée par la députée Laure Miller (EPR) et rapportée par Isabelle Santiago (PS) a publié son rapport, fruit de près d’un an d’auditions et d’analyses, mettant en lumière des insuffisances graves dans la protection de l’enfance. Ce rapport, voté à l’unanimité marque le point de départ d’un vaste chantier de réforme de l’ASE. Ce dispositif marque un tournant historique : après des années de silence, l’État reconnaît officiellement les préjudices subis par des milliers d’enfants placés.

Les manquements de l’ASE démontrés

Malgré son rôle essentiel, l’ASE souffre de nombreuses défaillances, mises en lumière par le rapport parlementaire. Ces manquements, souvent systémiques, ont de lourdes conséquences sur les parcours de vie des enfants concernés. Le rapport recense de la maltraitance, des abus, et des contrôles insuffisants. Dans les foyers mais aussi les familles d’acceuil, trop d’enfants subissent des violences physiques , psychologiques ou sexuelles, parfois par d'autres enfants ou par des professionnels. En cause les critères d’agrément et bilans sociaux peu contraignants pour les assistants familiaux, contrôles sporadiques et absence de référentiel national. Il relève également un recours excessif au placement avec une hausse de 44 % des mesures d’ASE depuis 1998 (397 000 mesures fin 2023), alors que la population de moins de 21 ans n’a crû que de 1,6 %. Le rapport démontre l’effondrement de l’accueil familial avec une diminution continue depuis 14 ans, malgré l’avis de l’ONU reconnaissant la famille d’accueil comme la forme de placement la plus protectrice et une inégalité territoriale avec une forte variabilité de l’implication des services déconcentrés et du niveau d’équipement selon les départements.

Quels sont les points positifs et avancées POUR L’ASE ?

Face à ce constat alarmant, des signes d’espoir émergent : mobilisation politique, prises de parole d’anciens enfants placés, décisions judiciaires inédites…

Autant d’éléments qui montrent que la parole se libère, et que le système, lentement, commence à bouger.

  1. Adoption unanime du rapport

    Tous les groupes parlementaires ont salué la portée des préconisations, donnant de la légitimité à l’ensemble des propositions.

  2. Stratégie gouvernementale

    La ministre Catherine Vautrin a repris plusieurs recommandations, annonçant une loi de programmation pluriannuelle et un renforcement des financements.

  3. Commission nationale de réparati

    Recommandée pour reconnaître et indemniser les enfants placés victimes de maltraitance, cette instance symbolique marquera une rupture avec le passé silencieux.

  4. Mobilisation associative et citoyenne

    De nombreuses figures ont émergé pour porter la voix des premiers concernés, des associations se sont créés et des recours juridiques notamment devant la CEDH (Loste c. France) ont abouti à la condamnation de l’État pour carences de protection.

  5. Voix des professionnels

    Procès récents (Châteauroux, octobre 2024) et mobilisations (septembre 2024) ont mis en lumière la surcharge des travailleurs sociaux et l’urgence de réformes concrètes.


Protection de l’enfance: une question de moyens

Si l’ASE est en crise, ce n’est pas seulement une question de dysfonctionnements internes : aujourd’hui, la protection de l’enfance est une compétence des départements, mais ces derniers ne sont pas tous égaux face aux besoins et aux ressources disponibles. En 2024, le budget de l’État consacré à la protection de l’enfance est intégré dans une enveloppe globale “solidarité, insertion, égalité des chances”, difficilement lisible, qui se stabilise à 30,4 milliards €. Résultat : pas de transparence sur les moyens alloués spécifiquement à l’ASE, ni sur leur évolution. Cette organisation budgétaire complique le pilotage national, laisse place à des disparités territoriales, et limite la capacité d’action des acteurs de terrain. Sans volonté politique forte, sans investissement clair et ciblé, les promesses restent lettre morte.

Statistiques clés & disparités

Pour comprendre l’ampleur des défis que rencontre l’ASE, il faut regarder les chiffres : ils révèlent une réalité complexe, marquée par des inégalités territoriales et une pression croissante sur les dispositifs de protection.

208 000 mineurs et jeunes majeurs étaient accueillis à l’ASE fin 2022, soit + 1,7 % sur un an. 5 324 nouveaux MNA pris en charge au 31 décembre 2023, pour un financement de 31,94 millions d’euros (6 000 euros par jeune). La charge financère repose presque entièrement sur les départements; dans certaines zones, l’ASE représente jusqu’à 20% du budget annuel local. En Seine-Saint-Denis, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) prend en charge environ 9 300 enfants et jeunes majeurs . Le budget alloué à l’ASE par le département s’élève à 316 millions d’euros en 2023. Les taux de prise en charge varient de 10,3 ‰ à 49,3 ‰ selon les départements, traduisant des contextes sociaux et politiques très hétérogènes.​

Voix associatives et perspectives législatives

Face à ces constats, les associations, les institutions et les parlementaires multiplient les appels à l’action. Tour d’horizon des propositions concrètes et des prochaines étapes législatives à suivre de près.

  1. Voix des acteurs

    Le CESE alerte sur la surcharge des travailleurs sociaux, les « sorties sèches » à 18 ans et propose un investissement humain de 8 % (760 M€) pour renforcer les équipes. L’Unicef France plaide pour une stratégie nationale de refondation et la mise en place d’inspections semestrielles.

  2. Perspectives législatives

    Mai 2025 : lancement d’un groupe de travail mixte État‑départements‑associations pour définir le cadre juridique et budgétaire de la commission.

    Juillet 2025 : publication attendue du décret d’application créant formellement la commission nationale de réparation.

    Automne 2025 : auditions publiques d’anciens enfants placés, point de départ du fonds d’indemnisation et du calendrier des réparations.

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