Amendes, évictions, contrôles : la gestion des «indésirables» par la police en région parisienne, une étude de Aline Daillère et Magda Boutros
En avril 2025, Aline Daillère et Magda Boutros ont publié « Amendes, évictions, contrôles : la gestion des “indésirables” par la police en région parisienne », un rapport pour la Défenseure des droits expliquant comment des adolescents racisés des classes populaires sont harcelés par des policiers.
Une enquête inédite
Basée sur des documents internes d’un commissariat du 12e arrondissement, l’étude montre que la police applique une politique d’éviction des jeunes de quartiers populaires qu’elle considère dans les documents officiels comme des “indésirables”. L’objectif est clair: empêcher cette population d’être présente dans l’espace public, sans raison apparente, sans infraction constatée. Cette étude révèle que deux pratiques policières sont utilisés pour parvenir à cet objectif : les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires et les amendes forfaitaires. Des pratiques dont les autrices considèrent qu’elles bafouent les droits fondamentaux.
Contrôles d’identité répétés et illégaux
Les contrôles sont massifs, répétés, et illégaux. Des documents officiels de l’IGPN révèlent que les forces de l’ordre ont admis procéder à des évictions « lorsqu'il n'y avait pas d'infractions constatées mais que cela engendre une réelle gêne vis-à-vis des riverains ainsi qu'un sentiment d'insécurité » :
“Sur place, nous avons constaté la présence de quatre individus discutant calmement. Nous leur avons demandé de quitter les lieux, ce qu'ils ont fait sans incident.“
Or, en droit, un contrôle d’identité ne peut avoir lieu que s’il y a une suspicion d’infraction ou un risque avéré d’atteinte à l’ordre public. Sinon, c’est illégal et discriminatoire, un sentiment d’insécurité, imaginaire, sans fondement ou sans fait n’est jamais une justification suffisante.
L’amende comme outil de répression
Depuis 2010, les policiers peuvent dresser des amendes à distance, via tablette. Cela est rendu possible par l’interconnaissance entre les jeunes et les policiers, ce que Marwan Mohammed, sociologue a appelé la “familiarité perverse”. Les forces de l’ordre connaissent nom, prénom, et adresses. Ils peuvent donc dresser des PV sans en informer ces jeunes.
Les jeunes se font massivement verbalisés dans leur quartier, par des policiers qui ont l’habitude de les contrôler. Les mêmes “infractions” reviennent comme « déversement de liquide insalubre hors des emplacements autorisés », concrètement il s’agit d’un crachat sur le sol. Résultat : des jeunes reçoivent des dizaines d’amendes sans avoir été interpellés.
Des dettes à vie
Les jeunes des habitants de quartiers subissent un harcèlement policier : multi-verbalisation dans le temps, et parfois verbalisation de plusieurs amendes en lot, en moyenne 38 amendes par personne. Par exemple, Ahmed, âgé de 16 ans, a reçu 62 amendes entre janvier 2022 (14 ans) et juin 2023 (16 ans), soit une dette de plus de 16 700 euros.
La période du COVID a été particulièrement révélatrice de la sur-verbalisation des jeunes des habitants de quartiers populaires : 140 fois plus verbalisés que le reste de la population. Les conséquences sont sans appel: de 2 000 € à 32 500 € de dettes et chaque amende passe de 68 € à 180 € en cas de non-paiement rapide. Ces dettes à vie sont saisies directement sur les salaires des parents et des jeunes.
Des recours bloqués
En théorie, les amendes peuvent être contestées. En pratique, moins de 3 % sont examinées par un juge et 90 % des recours sont rejetés automatiquement. Les jeunes de quartiers populaires ne peuvent pas faire valoir leurs droits et contester ces amendes, alors même que la réalité des infractions est souvent remise en cause.
“Il y avait des permanences juridiques faites par les avocats pour contester ces amendes, mais ça ne fonctionne pas. Les procédures sont construites de manière à empêcher les contestations” Aline Dallière
Pourquoi tout est si compliqué ?
Bien souvent, les recours sont déclarés comme irrecevables, par les officiers de police eux-mêmes. Au tribunal, pèse sur le jeune une présomption de culpabilité, il doit démontrer qu’il n’a pas fait. En effet, en droit, un procès verbal (PV des amendes) fait foi, cela signifie qu’il s’agit d’une vérité.
Par exemple pour contester une amendes pour « déversement de liquide insalubre hors des emplacements autorisés », le jeune doit démontrer qu’il n’a pas craché par terre deux ans auparavant. En bref, c’est mission impossible de faire valoir ses droits, car apporter la preuve est quasiment impossible.
Des droits bafoués et une logique de mise à l’écart
Ces pratiques violent des principes fondamentaux à savoir la liberté d’aller et venir, le droit à ne pas être discriminé, le droit à un procès équitable, et le droit à la sûreté. Ces jeunes sont punis pour leur simple présence. Derrière ces amendes, une logique d’exclusion de l’espace public.
Pour certains enquêtés, le message que leur adressent les policiers est explicite : ils n’ont « pas le droit d’être dans la rue », « de rester ici ». La simple présence des jeunes dans l’espace public est considérée comme un problème, une gêne, créant un sentiment d'insécurité. Ce sentiment est un phénomène bien connu, lié à des biais racistes et discriminatoires: La seule présence d’hommes noirs ou arabes dans l’espace public est considérée comme dangereux.
“Tous les jeunes contrôlés que j’ai rencontrés étaient des hommes noirs ou arabes. D’ailleurs, 100 % des enquêtés le sont. Ce n’est pas une catégorie que j’ai ciblée délibérément : je suis partie des amendes, et ce sont systématiquement ces profils qui apparaissent.” Aline Daillère
Vers une porte de sortie ?
En mai 2025, la cour criminelle des Hauts-de-Seine a condamné un policier de Suresnes, à 18 mois de prison avec sursis et à l’interdiction définitive d’exercer, avec effet immédiat, pour pour faux en écriture publique. Lors du verdict la cour a précisé : "Ni vous ni (la victime) ne se trouvaient au lieu du contrôle, il a été constaté des infractions imaginaires."
Concrètement, ce policier a établi de fausses amendes contre un jeune. Il est temps que la justice se saisisse de ce problème, de manière structurelle.